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Témoignage de G.

« Il est difficile de connaître l’impact réel que peut avoir le harcèlement scolaire sur l’existence de la victime. Quelles en sont les conséquences sur le comportement, la santé et les choix de vie. Et quelles en sont les conséquences sur le long terme ? J’ai été victime de harcèlement scolaire du CP à la terminale. J’ai obtenu mon bac il y a quinze ans maintenant. Et aujourd’hui encore j’ignore quelle est la véritable étendue des séquelles que m’ont laissé douze années de harcèlement. 

Angoisses, souffrances morales, paranoïa, dévalorisation, timidité, haine de soi, mal-être, colère sourde, envies suicidaires. Voilà ce par quoi je suis passé. Syndrome de stress post-traumatiques, troubles dissociatifs, douleurs chroniques, nombreux dysfonctionnements physiques. Ce que je traverse depuis plusieurs années maintenant. Aujourd’hui encore il demeure parfois un caractère renfermé, froid, distant, voire nihiliste. Et du point de vue de mes expériences personnelles et professionnelles citons pêle-mêle des difficultés relationnelles, des échecs successifs dans les relations sentimentales, un parcours professionnel longtemps chaotique, une démotivation, un sentiment de solitude exacerbée, un manque d’entrain et d’énergie, un détachement.

Enfant, je semblais déjà différent. J’éprouvais énormément de difficultés pour avancer au même rythme que les autres, quand je n’étais pas tout simplement en situation d’échec. J’étais dans mon monde, là où je pouvais être fort, courageux, voire héroïque avec l’innocence qui caractérise parfois (j’insiste sur ce dernier mot) les enfants. Ajoutez à ces deux ingrédients un nom de famille (voir même un prénom) sujet aux moqueries ainsi qu’un physique ingrat, et vous obtenez un merveilleux cocktail pour un harcèlement sévère et durable. Moqueries et autre railleries, coups, insultes, jets de nourriture, humiliations en tous genres « ‘allant jusqu’à me retrouver nu en public), exclusion systématique et j’en passe. Mes bourreaux de l’école primaire, scolarisée dans le même collège que moi, auront tôt fait de rallier de nouveaux élèves à leur cause. Et ainsi de faire de ma vie un enfer qui m’a semblé durer des siècles.

À force de subir de tels sévices, on finit par croire que c’est normal, voire même que l’on mérite ce que l’on subit quotidiennement. Que nous ne valons rien, que nous n’avons pas le droit d’être aimé ni d’être heureux. Il m’a fallu un long travail (toujours en cours) avec une thérapeute pour comprendre l’extrême gravité de ce que j’ai vécu. Pour comprendre que j’aurais pu y laisser la vie, et que d’autres qui ont traversé des choses similaires n’ont pas survécu. Ce constat me brise le coeur, et il revient me hanter à chaque fois que j’apprends le décès de victimes de harcèlement. J’ai survécu. Mais à quel prix ? Mon combat n’est pas terminé. La sera-t-il un jour ? Cette question reste sans réponse. Ce que je sais en revanche, c’est que les instants de bonheur que je me suis créé, l’estime de moi que j’ai retrouvé et l’acceptation de ce que je suis valent la peine d’être vécu. C’est cette récompense qui me rappelle chaque jour que ce que j’ai enduré n’aura pas été vain. 

Nous sommes trop souvent seuls et démunis face au harcèlement. En parler revient parfois à être jugé, à vois notre souffrance minimisée ou ignorée. Mais ne pas en parler c’est être rongé de l’intérieur par un mal insidieux qui peut nous coûter la vie. Personne ne mérité une telle sentence. Personne ne mérite de mourir. Nous avons le droit d’exister et d’être aimé pour ce que nous sommes. Le harcèlement est un cauchemar dont on ne se réveille jamais vraiment. Mais les soi-disant différences pour lesquelles on nous condamne ne doivent jamais nous faire oublier que les actes de harcèlement sont inacceptables et que nous ne sommes pas en cause. Nos vies ont une valeur. Nous sommes uniques et irremplaçables. Nous avons tous une raison d’être. Et cette solitude, ce désespoir partagés par des milliers d’élèves et d’étudiants doivent nous rappeler qu’ensemble, nous pouvons surmonter nos peines, repousser les barrières du harcèlement et anéantir ce fléau trop longtemps passé sous silence. »

Merci de tout cœur à G. pour son témoignage.